L'art de (se) diriger ( le blog de Laurent Pellegrin)

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La France compte peu de bas salaires mais...

Voici un éditorial remarquable de Jean-Marc Vittori dans les Echos des 6 et7 novembre 2009, qui montre que le travail devient de plus en plus dur en France qu'ailleurs et que je reprends intégralement sur ce blog, les liens étant inactifs depuis plusieurs semaines sur blog4ever.com. Vous le trouverez cependant sur le lien suivant : http://www.lesechos.fr/info/analyses/020204617417-la-france-compte-peu-de-bas-salaires-mais---.htm

La France compte peu de bas salaires mais…
"C'est un drame des temps modernes, qui n'en manquent pourtant pas. Aujourd'hui, le travail ne protège plus de la pauvreté. Gangrenée par les dérives du capitalisme anglo-saxon, la France se remplirait de « working poors », de travailleurs qui n'arrivent pas à vivre avec ce qu'ils gagnent. C'est devenu un poncif des colloques et des médias. Et pourtant… et pourtant, la France compte finalement peu de bas salaires. C'est ce que montre un petit livre trapu (1) récemment paru sous l'égide du Cepremap, un centre de recherche qui n'est pas précisément réputé pour être un repaire d'ultralibéraux. Publié sous la direction d'Eve Caroli, professeur à Nanterre, et de Jérôme Gautié, de Paris-I, ce solide ouvrage universitaire combine des comparaisons internationales et des plongées en profondeur dans des secteurs très différents, comme l'hôtellerie, les centres d'appels, le commerce, les hôpitaux ou l'agroalimentaire.
Constat initial donc, la France compte peu de travailleurs à bas salaires : 10 % du total, deux fois moins que dans les autres pays étudiés - 18 % aux Pays-Bas, 22 % au Royaume-Uni, 23 % en Allemagne et 25 % aux Etats-Unis. Seul le petit Danemark fait mieux, avec 8 %. Ce résultat a surpris les chercheurs - y compris Robert Solow, le prix Nobel d'économie qui a préfacé le livre. Il est pourtant logique. Le SMIC, spécificité tricolore, n'est en effet guère éloigné du seuil retenu pour définir le bas salaire - deux tiers du taux horaire médian (celui qui partage la population en deux groupes de même taille, ceux qui gagnent plus et ceux qui gagnent moins). Le bas salaire, dans cette définition classique des chercheurs en sciences sociales, est donc presque interdit en France.
Cette douce image d'un pays où les petits salaires sont rares cache cependant de rudes réalités. La première est bien connue. Le SMIC condamne mécaniquement au chômage ceux dont la production vaut moins que le salaire minimal. C'est l'une des raisons pour lesquelles la France a l'un des taux de chômage les plus élevés d'Europe - et l'une des productivités les plus fortes (les moins efficaces ne travaillent pas). La deuxième réalité, elle aussi bien connue, concerne les salariés en bas de l'échelle : pour beaucoup d'entre eux, la rémunération progresse peu au fil du temps car le SMIC les fait entrer « trop haut » dans l'échelle des salaires. Un quart des smicards ont plus de dix ans d'ancienneté. Il en va tout autrement dans d'autres pays où le petit salaire n'est qu'une étape, réservée aux étudiants ayant un emploi (comme au Danemark), ou aux débuts de carrière.
Mais le livre va plus loin. Peu de bas salaires donc, mais en contrepartie un travail qui devient de plus en plus dur, et en France plus qu'ailleurs. Les horaires sont souvent éclatés, notamment depuis la mise en oeuvre des accords de réduction du temps de travail. Le travail s'intensifie, avec la mise en œuvre de nouvelles technologies et de techniques de contrôle de plus en plus affûtées. L'exemple des supermarchés est frappant : « Chaque caissière reçoit ses scores quotidiens de productivité comparés à ceux de ses collègues. » Les formes de précarité s'accumulent au-delà des contrats à durée déterminée, des vendangeurs aux intermittents du spectacle en passant par les extras des restaurants, les migrants, les perchistes des stations de ski ou les tâcherons de l'agroalimentaire. Le stress monte, avec la multiplication des tâches à accomplir et une responsabilisation accrue - pas seulement à France Télécom. En une décennie, le nombre d'accidents du travail a baissé deux fois moins vite en France qu'en Europe. Et l'argent ne compense pas la dégradation de cette vie professionnelle, « le compte n'y est pas ». A peine 36 % des salariés français estiment être correctement payés pour ce qu'ils font, contre 47 % en moyenne en Europe.
La question dépasse largement les entreprises. Les syndicats ont leur part de responsabilité, eux qui sont très présents à l'échelon national pour les grandes négociations collectives mais trop souvent absents sur le terrain, là où se jouent les conditions de travail - un sujet largement sorti du champ de leurs préoccupations. L'Etat aussi est en cause, lui qui produit une impressionnante montagne de paperasseries et de règlements en tout genre mais s'avère incapable de les faire respecter. Il y a deux fois moins d'inspections du travail en France qu'au Royaume-Uni. Le contournement des règles à la fois trop nombreuses et trop compliquées devient un sport national, comme en témoignent les études sectorielles du livre.
Le constat des chercheurs du Cepremap est simple : si la France a peu de bas salaires, le prix à payer en est donc extraordinairement élevé. Les politiques devraient s'en saisir. Se demander si le jeu en vaut la chandelle. S'il n'y a pas un autre équilibre à trouver, en acceptant davantage de bas salaires dans une société qui serait en échange plus ouverte, plus mobile, plus solidaire. Ce champ est périlleux, et pas seulement parce que la vache sacrée du SMIC trône au milieu. Ce n'est pas une raison pour l'éviter."

(1) « Bas salaires et qualité de l'emploi : l'exception française ? », sous la direction d'Eve Caroli et Jérôme Gautié, éditions ENS-Rue d'Ulm, 510 pages, 15 euros.


08/11/2009
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